La Génèse

Tout avait commencé il y a tellement longtemps. Les choses avaient tant changé depuis. Un bien ? Un mal ? Il était parfois difficile de trancher. Mais la plus part du temps il fallait reconnaître que c’était mieux. Non. En étant parfaitement honnête, c’était bien mieux maintenant.

L’homme était assis à une table, dans la pénombre protectrice d’un recoin de la taverne. Il était grand, le teint pâle, les cheveux blancs, l’iris de ses yeux se confondait avec le blanc de ses yeux si bien qu’il donnait l’impression d’être aveugle au premier abord. Un rôle qu’il avait souvent joué il y a longtemps. « Aveugle aussi à ceux qui l’entouraient » se dit il. « le rôle qu’on joue vous rattrape parfois plus vite que l’on ne le pense».

Son armure aussi le gênait. Menaçante, pleine d’angles, de griffes et de gueules de démons, il était censée inspirer la peur à l’ennemi et marquer un rang social en même temps. Dans un endroit comme celui dans lequel il se trouvait, ce genre d’artifice pouvait faire toutes la différence dans une transaction. Mais il regrettait le temps où il n’avait pas besoin de ça pour vivre. Il s’était longtemps contenté d’un simple tatouage. Bien fait, celui-ci lui avait procuré la même protection et les mêmes avantages que son armure actuelle, et bien moins d’entretien et d’encombrement… Sans parler du prix que lui avait coûté la nouvelle armure…

L’ancien temps… le passé… la genèse plutôt…

L’inaction faisait souvent remonter à la surface de sa mémoire des souvenirs qu’il croyait n’avoir pas voulu conserver. La même inaction lui faisait confronter ses souvenirs avec la réalité d’aujourd’hui. Mais quelle confiance peut on accorder à un souvenir ? Par définition, un souvenir n’est qu’une version des faits, version subjective qui plus est. Donc une version faussée, inexacte, corrompue. Bref quelque chose que l’on ne souhaite pas forcément confronter avec la réalité d’aujourd’hui.

Comment les choses avaient elles commencées ? Quand avaient elles vraiment pris forme ? Pourquoi en était on arrivé là ? Qui avait œuvré à la construction de l’ensemble ? Autant de questions dont les réponses allaient et venaient en fonction de son humeur, du contenu de son verre et du nombre qu’il avait pu en boire…

Quand, était peut être la question la plus facile. Deux ans. Enfin presque deux ans. Cela ferait deux ans dans quelques mois. Deux mois environ. « Quelques », « environ »… cette imprécision le mettait en colère. Même les questions faciles ne pouvaient trouver de réponses précises… C’est la suite qui allait être coton, se dit-il. Il vida son verre et fit un signe pour que l’on le lui remplisse de nouveau. « Quitte a déformer les souvenirs, autant faire les choses, à fond » pensa t il.

Il laissa quelques instants à l’alcool pour remonter à son cerveau et raviver les souvenirs qu’il souhaitait évoquer.

« Artemis et Zed ». C’était son plus ancien souvenir de la Guilde. Son premier contact avec elle. Cela se passait quelque part dans la jungle de Maguuma. Ou peut être était ce juste après l’Arche du Lion ? Oui, il lui semblait que cela devait être ça. Lui-même commençait à peine à maîtriser ses pouvoirs et il en allait de même pour le reste des aventuriers qui commençaient à découvrir la Tyrie. En ce temps là, la plus part des sentiers du continent était encore vierge ou presque. Depuis, lui-même les avait parcouru dans tous les sens, et même s’il ne les avait pas revus depuis longtemps, il se souvenait de chacun des recoins de toutes les cartes.

A l’époque donc il venait d’arriver à l’Arche du Lion. Tant bien que mal d’ailleurs, la qualité des groupes qu’il avait rencontré jusqu’à maintenant ne lui laissait qu’une bien piètre impression de la valeurs des humains.

Bref il s’était à nouveau retrouvé dans un groupe un peu par hasard et à sa grande surprise, deux des membres du groupe portait le même cape sur leurs épaules. Cela ne changeait pas grand chose à la façon habituelle de combattre du groupe : désordonnée, inefficace au possible, irrationnelle et désorganisée mais le fait était assez rare pour avoir attirer son attention et un certain nombre de possibilités commencèrent à poindre à l’horizon. Avec un peu de recul, c’est à ce moment que les choses avaient commencés à prendre forme.

La conversation qui s’était engagée avait alors été d’une banalité affligeante :
- « Jolie cape » avait il dit à Artémis et à Zed
- « Merci » répondirent-ils

L’avenir allait lui démontrer que de parler de la cape n’était pas forcément la meilleure façon de s’ouvrir des portes au sein de la Guilde mais il le l’apprendrait que bien plus tard.

- « ça doit être sympa d’en avoir une comme ça… » avait il ajouté.
- « Tu n’as pas de Guilde ? Si tu veux nous rejoindre, c’est pas un problème » avait répondu Artémis.
- « Pourquoi pas. Allons y. »

Et le pacte fut ainsi scellé. L’échange avait durer moins de deux minutes mais allait avoir des répercussions directes sur les deux années à suivre et sûrement des répercussions indirectes sur une période beaucoup plus longue…
L’invitation qui avait suivi n’avait été qu’une formalité et il l’avait acceptée immédiatement.

A l’époque, c’était Al Rabyth le Maître de la Guilde. Tal était déjà là aussi. Duncan aussi. En plus de Zed et d’Artémis, on trouvait Shalsoren, Bibi et Ange. Lord aussi était là, pas celui que nous connaissons aujourd’hui mais un autre Lord. Sans doute aussi avec un château et des terres quelques parts en Tyrie ou dans un coin reculé… Enfin ce n’était peut être pas exactement la composition exacte de la Guilde mais cela devait s’en rapprocher pas mal. Fichus souvenirs…

En tout une petite dizaine de personnes formait l’embryon de la Guilde que nous connaissons aujourd’hui. La Guilde possédait un hall, que Al et Jean avaient payé sur leurs fonds propres. Mais il était relativement vide et se trouvait alors dans l’île du Sorcier.

Rien n’était organisé mais pour la bonne et simple raison qu’il n’y avait rien à organiser : pas de décisions stratégiques sur l’avenir de la Guilde, pas de réflexions sur les alliances, pas d’expéditions compliquées dont la préparation prenait plus de temps que l’expédition en elle même, les recrutements se faisaient sur un feeling de quelques minutes, sans se poser plus de questions. Et cela fonctionnait.

Nos propres connaissances de l’univers Tyrien nous suffisait, notre ambition ne dépassait pas encore le cadre de ses frontières. En ces temps là, le camp de Deldrimmor n’avait pas encore été bâti et les accès à la Fournaise n’avaient pas encore été révélés à la face du monde.

Les semaines passèrent, la Guilde grandissant petit à petit au gré des hasards des rencontres. Puis survint Brekke.
A l’évocation de ce souvenir, les yeux blancs de l’homme se voilèrent et ses traits se durcirent. Il vida d’un trait le verre qui lui avait été resservi et auquel il n’avait pas encore touché depuis. Il en commanda un autre, sachant que la suite n’allait pas forcément être la plus facile.

Ce qu’il avait pu l’aimer. Une femme vive, brillante, intelligente, courageuse, belle. Il avait passé des jours entiers en sa compagnie, avait finit par atteindre les plus extrêmes limites de la Tyrie à ses côtés et avec son aide, découvert cette nouvelle partie qui venait d’être révélée qu’était la Fournaise des Lamentations. Un projet de fiançailles avait même commencé à prendre forme…

D’autres compagnons les avaient rejoint peu à peu : Mitsune, Dodo, Frère pour ne citer qu’eux. La Guilde devait faire entre 20 et 30 personnes mais les origines des membres étaient aussi variées que le bestiaire de Tyrie et il en allait de même de leurs aspirations.

Ce fut le début de la fin du premier Age d’Or de Guilde. Des dissensions commencèrent à apparaître entre ceux qui souhaitaient continuer à arpenter les terres de Tyrie et ceux qui auraient préféré que la Guilde se tourne vers le combat contre d’autres Guildes, délaissant leurs racines au profit de nouveaux types de défis. Les seules décisions stratégiques étaient alors prises par Al, qui s’était justement lancé un nouveau défi en compagnie de Brekke : parcourir la Tyrie de l’Eden aux Iles de Feu juste entre eux. Ce fut donc en cette période critique où la présence d’un leader aurait permis d’éviter le pire et aurait donné une vision claire à la Guilde, que son chef pris de la distance par rapport à elle et passa du temps avec Brekke.

Trop, ont dit les plus mauvaises langues. Des défections commencèrent à apparaître. L’ambiance devint électrique, les rivalités entre pro et anti combat de Guilde se firent plus vives. Les mots dépassèrent bien souvent la pensée et les intentions mais le mal était fait et Brekke devint une des cibles des critiques. Le vent ayant porté à ses oreilles trop de paroles désagréables, elle prit le parti de quitter la Guilde, préférant renoncer à être un bouc émissaire et à laisser se débrouiller une Guilde dont elle n’avait pas besoin.

Les adieux entre l’homme et Brekke furent certainement ce qu’il avait vécu de pire depuis son arrivée en Tyrie. Cela se passait alors même qu’une date de mariage avait été arrêtée et fixée au jour où la première liaison maritime entre la Tyrie et Cantha allait être ouverte.

La disparition de Brekke ne fit pas taire les rumeurs ou les conflits comme elle l’avait espéré. L’homme lui même se remit à penser à la période de doute qu’il avait traversé à ce moment là, tiraillé entre les sentiments qu’il avait envers elle et l’attachement qu’il commençait à ressentir envers ce qui petit à petit était devenu malgré tout une famille d’adoption.

Mais l’homme ne fut pas le seul à souffrir du départ de Brekke. Al le prit comme une attaque personnelle et préféra abandonner cette Guilde dans laquelle il ne se reconnaissait plus et il partit panser ses blessures au loin. En partant il céda sa place à Duncan, son frère, qui était à ses côtés depuis le début et qui était l’un de ceux qui était le plus présent.

Ce fut le début d’un Age Gris pour la Guilde. L’ouverture des liaisons avec Cantha y joua un grand rôle, recentrant quelque peu le débat plutôt autour de l’exploration que du combat entre les Guildes mais recréant d’autres inégalités en fonction des différentes vitesses d’exploration de ce continent et surtout diluant la cohésion de la Guilde, chaque membre avançant souvent seul ou avec des inconnus.

Ce fut aussi la période d’une politique expansionniste, soutenu par quelques officiers dont le credo était « plus on est de fous, plus on rit ». Le recrutement repris de plus belle, sans réflexion préalable, ni de concertation avec des résultats aussi inégaux que l’on peut facilement imaginer.
A cette même période quelques officiers se réunirent régulièrement en privé pour discuter de l’avenir de la Guilde : Tal, Mitsune, Dodo, Frère et le plus amer d’entre eux était sans doute l’homme qui avait le plus souffert lors des précédents troubles.

Ce groupe oeuvra tout d’abord pour essayer de réguler le recrutement en mettant l’accent sur la qualité plutôt que sur la quantité. De nombreux coups de gueule furent ensuite poussés pour essayer de faire changer les choses : donner un vrai rôle un poste d’officier, organiser l’entre aide et les expéditions, fixer les priorités entre les pro et anti combat de guildes, etc.

Les résultats furent partiels, mais le groupe pris conscience que si certaines idées étaient bonnes, elles ne pourraient être mise en place qu’avec un pouvoir fort. Or le pouvoir était dilué parmi une bonne douzaine d’officiers et un Maître de Guilde qui n’avançait pas toujours dans la même direction.

A peine quelques semaines après la découverte de Cantha, la Guilde menaçait à nouveau d’exploser, le groupe d’officiers rebelles ayant décidé de partir fonder sa propre Guilde si les choses ne changeaient pas radicalement dans les jours à venir.

Al, au fait des turbulences que traversaient la Guilde décida de reprendre le pouvoir des mains de Duncan et de redonner sa chance à la Guilde qu’il avait lui même fondé. Al organisa un certain nombre de choses en réduisant le nombre d’officiers, en redistribuant des rôles et en expulsant de la Guilde un certain nombre d’indésirables. A nouveau cela créa des tensions qui se cristallisèrent sur Al, provoquèrent le départ de Duncan qui parti fonder sa propre Guilde.

Après quelques jours de batailles, Al aussi préféra abandonner et céda sa place à son troisième frère : Tal. Mais il lui légua une base solide et saine sur laquelle Tal allait pouvoir rebâtir une Guilde d’envergure.

Un solide mal de crâne commençait à vriller la nuque de l’homme. L’alcool ? Les remords ? Il n’était pas innocent aux turbulences qu’avaient subies la Guilde, il en avait parfaitement conscience, il avait contribué à la plus part d’entre elle, sachant qu’aussi désagréables qu’elles allaient être, elles étaient nécessaires.

Aurait il pu faire autrement ? Peut être mais rien n’est moins sûr. Si cela était à refaire, ferait il les mêmes choix ? Rien n’est moins sûr. Mais au fond de lui, il savait qu’il avait aujourd’hui atteint son but, celui-là même qu’il s’était fixé lorsque Brekke l’avait quitté : créer une Guilde dont il pouvait être fier, une Guilde dont les valeurs voudraient dire quelque chose et seraient partagées par tous ses membres, une Guilde soudée et unie, une Guilde dont les maître mots seraient entraide et solidarité.

Le fond de son verre à nouveau vide lui renvoya encore d’autres questions : comment avaient ils faits ? Qui les avait rejoint ? Qui était parti ? Mais s’il en connaissait les réponses, il savait que pour ce soir, elles se refuseraient à lui : l’alcool et l’heure tardive avait eu raison des derniers neurones encore efficaces de son cerveau.

« Demain est un autre jour » se dit il, il sera temps de voir ça à ce moment là.

Autre nuit. Autre taverne. Autres alcools. Autres souvenirs. Même homme.

Même homme ? Lui-même n’en était pas sûr. Il avait bien changé depuis deux ans, par la force des choses : il était arrivé en Tyrie plein d’innocence et de naïveté, il était aujourd’hui blindé et rompu aux intrigues de couloirs, à la manipulation, aux complots. Ce n’était pas un hasard si finalement c’est l’art de la nécromancie qui l’avait attiré, il y avait quelque chose de prédestiné là dedans.

Il se souvenait de la première véritable alliance qui l’avait approchée : les SNIF. Cela remontait à presque un an mais il en gardait encore des souvenirs assez précis. C’était peu de temps après que Tal soit devenu le Maître de la Guilde. Les fondations étaient fraîches mais lui semblait solides et rejoindre une alliance lui paraissait être une solution plus rapide que de mener une campagne de recrutement longue et fatigante. Le manque d’effectif paraissait alors être un frein au développement de la Guilde et ce type de rapprochement avait l’avantage d’être rapide et peu engageant.

Il avait tenté un premier rapprochement avec l’une des Guildes dont il avait l’impression que l’état d’esprit était similaire à celui des RW. Cette Guilde, les Kill, faisait régulièrement parler d’elle, entre autre car son chef était l’un des experts les un plus respectés dans le domaine de l’estimation de pièces rares. Le dialogue avait été entamé mais n’avait pas été poussé très loin car les Kill semblaient à l’époque plutôt se tourner vers les Luxons alors que les RW venaient d’opter pour les Kurzicks.

L’homme était donc reparti à la recherche d’autre chose et il avait fréquenté un peu plus que de coutume les arrières salles des tavernes, écouté plus attentivement les bruits et les rumeurs qui y courraient. Il avait payé des verres et s’en était fait offrir, graissé des pattes afin d’avoir des renseignements plus précis et après plusieurs semaines de recherches, il lui semblait avoir trouvé une bonne Alliance dans laquelle ils pourraient s’intégrer. Il avait donc œuvré pour que le chef de cette alliance s’intéresse à lui.

Il avait depuis quelques temps entrepris de rédiger une description de la Guilde, sans savoir encore très bien à quoi cela le mènerait mais il en avait utilisé les premiers jets. Il les avait laissés trainer négligemment sur l’une des tables de l’une des plus grandes tavernes de la ville, sachant pertinemment que cela finirait bien par arriver, directement ou indirectement, aux oreilles de l’intéressé.

Il fut en effet contacté quelques temps plus tard par Rhylek, chef de l’alliance des SNIF qui avait eu vent de la Guilde des RW et s’intéressait à son potentiel : allié aux Kurzicks et plutôt axé vers l’exploration des différents mondes de Tyrie et de Cantha, elle correspondait bien aux attentes de l’alliance.

L’homme avait donc longuement échangé avec Rhylek et lorsqu’il lui avait semblé que le moment était venu, il s’en était ouvert aux restes des officiers de la Guilde, présentant favorablement le projet d’alliance qui avait été ratifié.


Ce faisant il avait commis deux erreurs : la première avait été de croire que la Guilde des SNIF serait à l’image de son chef et la deuxième avait été de croire que l’Alliance serait à l’image de la Guilde des SNIF, donc de son chef… A l’époque nous en étions aux balbutiements des créations d’Alliance et les choses ont surement bien changés depuis chez les SNIF qui sont toujours une alliance active. Après quelques semaines de tentatives afin d’établir des échanges réguliers entre les différentes Guildes de l’alliance, les RW s’étaient aperçus de l’impossibilité de construire une relation solide avec des gens ne partageant pas la même vision du monde qu’eux, dont le langage et les valeurs étaient par trop différents.

Ils avaient donc rompus leur relation avec l’Alliance des SNIF, d’autant que les choses se passaient très bien au sein même de la Guilde où l’ambiance était excellente.

L’homme avait repris et développé son projet de présentation de la Guilde et en avait fait une affiche à laquelle il rajoutait régulièrement des paragraphes de temps en temps, parmi tant d’autres sur les murs d’une taverne. Cette publicité leur avait attiré de nombreuses recrues, bien souvent d’excellente qualité, et leur avait permis d’atteindre un deuxième Age d’or.

L’homme était têtu, il le savait et ce n’était pas le moindre de ses défauts. Les perspectives qu’il avait néanmoins entrevus avec l’alliance des SNIF lui paraissaient prometteuses et il se refusait à les abandonner ainsi. Il était retourné à ses recherches de l’alliance parfaite et il lui semblait l’avoir trouvé de nouveau après pas mal d’hésitation.

Un nom apparaissait bien plus clairement au milieu des tous les autres mais il avait longtemps hésité : s’il s’attaquait à ça, il savait qu’il allait viser le top du top, le haut du panier, la crème de la crème. Il s’agissait ni plus ni moins du projet d’intégrer l’alliance menée par la Guilde qui animait la plus grande taverne de la ville : les CBN. A leur côté, on trouvait entre autre les Kan, les DNA, les ADV, les Kill et les MPM. Des Guildes dont la renommée n’était plus à faire.

Utilisant les premiers contacts qu’il avait eu avec les Kill à l’époque, il s’était rapproché de Ténébrius pour connaître les possibilités d’être intégrer à l’alliance. Il apprit qu’il ne restait qu’une place dans l’alliance et décida donc de tenter sa chance, après tout il était fier de sa Guilde et prêt à assumer ses responsabilités et les choix qu’il avait pris jusqu’à maintenant.

Il avait donc pris contact avec l’alliance au nom des siens, rapidement rejoint là-bas par d’autres RW. Les discussions avaient été longues, il avait fallu montrer patte blanche à toutes les Guildes. Lui-même était aussi plus prudent et avait pris le temps de rencontrer tout le monde, ou au moins de se renseigner de façon très approfondie sur chacune des Guildes composant l’alliance. Mais il y avait pris plaisir.

Les échanges durèrent bien 3 mois pendant lesquels les RW se renforcèrent encore, confortant les points de vue de l’homme sur la stabilité de la Guilde et sur sa pérennité. Ces trois mois d’échanges furent l’occasion de nombreuses sorties et de contacts avec des aventuriers de tous bords et des liens se tissèrent petit à petit.

Néanmoins l’homme avait commis là une troisième erreur sans encore sans rendre compte : celle de penser que l’ambiance qui régnait entre les guildes au sein d’une ou plusieurs tavernes étaient la même que celle qui régnait en dehors des murs des tavernes. Finalement, seule une petite fraction des membres des Guildes étaient d’assidus clients de ces endroits. Encore une fois il avait jugé les autres à l’aune de sa propre Guilde, ce qui l’avait conduit à un jugement erroné.

Les négociations ne se terminèrent pas véritablement : ce fut l’alliance des CBN qui fut dissoute en premier. L’homme se demanda longtemps, (et se demande encore) si la candidature des RW fut le catalyseur de cette dissolution ou si elle aurait eu lieu de toutes les façons. La réponse ne fut jamais claire mais il était certain que cette candidature avait joué un grand rôle dans les débats qui avaient divisés cette alliance.

Après la dissolution de l’alliance des CBN (MPB pour la vérité historique), certaines guildes de cette alliance, qui avaient été favorables entre autre à la candidature des RW, prirent la décision de créer une autre alliance autour des Kan. Il s’agissait des Kill et des DNA dans un premier temps. Ils proposèrent alors aux RW de les rejoindre, ce qui fut fait.

Les ADV, hésitants dans un premier temps, les rejoignirent par la suite. Cette nouvelle alliance de 5 Guildes pris le nom de l’alliance des Kan et prospéra pendant deux mois.

Vers la fin de l’année, pour des raisons obscures qui prenaient naissance dans des conflits de personnes, dans des attentes différentes de la part des Guildes, dans une certaine lassitude générée par un manque de défi à relever sur les continents découverts alors (Tyrie et Cantha), les relations se dégradèrent entre les Kill et les Kan. Les ADV prirent le parti des Kill et les DNA celui des Kan. Les RW, très pris à l’époque, prirent le parti de la neutralité.

L’homme se demandait encore aujourd’hui si cette décision de neutralité avait été la bonne. Lui-même était extrêmement pris par des projets personnels à l’époque et avait préféré ne pas trop prendre part aux débats par manque de connaissance des tenants et aboutissants.

Les échanges furent d’une rare intensité et se soldèrent par le départ des Kill de l’alliance, suivit peu après par celui des ADV, déçus par l’attitude des Kan.

Les RW choisirent de rester aux côtés des Kan et des DNA car de bonnes relations avaient été créées et qu’ils y trouvaient encore leur intérêt. Néanmoins des relations tout aussi fortes avaient été forgées avec certains Kill et ADV si bien qu’il n’est pas rare que des membres de ces Guildes se retrouvent par hasard ou soit appelés en renfort ou fassent appel aux RW si le besoin s’en fait sentir.

Le reste de l’histoire des alliances des RW est encore trop frais et le recul manquait à l’homme pour en avoir une vision globale. Les questions et les analyses viendraient plus tard.

Très tard dans la nuit, un homme progresse avec difficulté dans une neige épaisse et collante qui lui monte jusqu’aux genoux. Une pleine lune fait briller les angles acérés de son armure et scintiller les yeux blancs de l’homme. Il fait un froid vif mais l’homme ne le sent pas, protégé des rafales de vent par une cape blanche où l’on distingue les motifs d’une épée verte mais surtout perdu dans ses pensées.

Les choses ont encore bien changé depuis la dernière fois où il a pris le temps de se retourner pour regarder son passé et encore une fois il a eu sa part de dilemmes à trancher et de choix à faire. Grenth savait qu’il a essayé de les partager et de toujours faire passer l’intérêt de la Guilde avant le sien. Mais qui peut se dire infaillible par les temps qui courent ? Qui peut se targuer d’être parfaitement impartial ? Qui pouvait envisager les dégâts collatéraux que certains choix allaient nécessairement entraîner ? Personne et certainement pas lui.

Ce n’était pas tant de sa propre Guilde qu’il s’inquiétait : il récoltait aujourd’hui le travail de fond qu’il avait mis en place depuis des années et il pouvait se permettre d’être sélectif dans ses approches et dans les contacts qu’il approchait pour proposer de rejoindre la Guilde. Il parvenait à cerner avec assez de justesse la personnalité des candidats et parvenaient bien souvent à savoir avant eux s’ils se sentiraient bien dans les rangs de la Guilde.

L’idée de fond étant toujours de s’inscrire dans la durée et non pas dans une vision court termiste, il était particulièrement vigilant à toutes les périodes d’intégration et il savait que les autres officiers en faisaient de même. Il y avait donc un faible taux d’échecs dans les recrutements ainsi qu’un faible taux de départ à court terme.

Il y avait bien des départs d’anciens camarades mais la plus part du temps c’était pour cause de retraite définitive et non des abandons pour d’autres sirènes de Guildes. Il avait même vu avec plaisir certains revenir après leur retraite et demander à réintégrer la Guilde. Zed avait fait parti de ceux là. Que dit le proverbe ? On revient toujours à ses premiers amours ? Brekke… Non il ne devait pas y penser même s’il la croisait de temps en temps et qu’elle semblait se porter toujours aussi bien. Y penser le faisait dévier de sa mission et il ne pouvait se le permettre.

Un autre fantôme avait refait surface : Gaïa. Ils s’étaient recroisés dans une obscure taverne et avaient échangés quelques mots avant de repartir, chacun pris par ses obligations. Gaïa avait été le premier armurier de la Guilde, avant Rx.

Continuant d’avancer pas à pas dans la neige, il laissait son esprit dériver. La région était relativement sûre et il avait hâte d’arriver à sa destination. Où en était-il ? Ah oui : la Guilde fonctionnait bien. Il y a avait bien quelques passages à vide, surtout juste après la découverte d’Elona dont l’exploration avait accaparé tout le monde pendant quelques semaines mais tout était rapidement redevenu normal. Il savait que cela serait pareil avec ce nouveau continent qui venait de s’offrir à eux et n’était pas inquiet.

Il y avait bien aussi quelques chiens fous mais dont le pire défaut était surtout de parler à tort et à travers et surtout pour ne rien dire. C’était une vigilance constante pour les recadrer et essayer de préserver un minimum d’espace aux autres membres. Mais leurs diversions étaient parfois bien utiles et justement employées, elles lui permettaient bien des manœuvres. Il leur laissait donc la bride sur le cou la plus part du temps, se contentant de tirer sur les rênes de loin en loin.

Le froid commençant à se glisser dans son cou, il remonta le col de sa cape et força le pas, renonçant pour aujourd’hui à penser à toutes ces choses. Mais demain il devrait bien affronter le reste…

Cette fois il faisait jour. Il a dormi quelques heures, entre chien et loup, d’un sommeil sans rêve. D’ailleurs il ne rêve plus depuis longtemps, sans doute dort il trop peu et son esprit n’a pas le temps d’en créer. Ou bien vit il dans une réalité qui lui semble parfois si peu réelle qu’il n’a plus besoin de rêver…

En reprenant son chemin vers le cœur des Cimesfroides il repense à ses pensées d’hier. Ce n’est pas là qu’il voulait aller : il voulait se souvenir de nouveau des évènements qui avaient marqué la Guilde pour être sûr de ne jamais les oublier. Il se disait souvent qu’il devrait les écrire, après tout il n’était pas immortel, il se faisait même vieux (il se souvint avec peine de son dernier affrontement avec les charrs, qui lui avaient laissé un gour amer dans la bouche… Qu’il était loin le temps d’Ascalon et de ses remparts magnifiques…). Et puis ça pourrait être un bon moyen de partager l’Histoire de la Guilde avec les derniers arrivants. Il passait trop eu de temps avec eux ces derniers temps, il allait devoir remédier à ce problème de façon urgente s’il ne voulait pas perdre ce contact avec la réalité.

Il se reprit à dériver et se ressaisit. Que s’était il passé avec le départ des [Adv] de l’alliance des [Kan] ? Au début pas grand-chose. Les deux départs successifs avaient semés le trouble dans pas mal d’esprits mais après tout il y avait encore assez de monde dans cette alliance pour organiser tout ce qu’il était souhaitable de faire. Et surtout les [RW] étaient autonomes : c’était la plus grande des guildes restantes dans l’alliance et ses membres étaient soudées, s’épaulant dès que c’était nécessaire.

Petit à petit, une distance s’installa entre les [RW] et les deux autres guildes. Aucune rancœur, juste que le besoin qui les avaient poussés à s’allier à eux ne se faisaient plus sentir aussi fort qu’auparavant. Cette autonomie qu’avait acquise la Guilde allait conduire à la fin de l’alliance.

Mais il n’y avait pas que ça non plus. Les [Kan] qui pourtant avaient des activités très variées sur tous les continents commencèrent à se lasser de les parcourir sans cesse. Certains de leurs éléments clés prirent de la distance par rapport à leur Guilde et d’autres souhaitèrent affronter plus régulièrement d’autres Guildes en combat singulier. Cette divergence de point de vue et le recul du management, était de l’avis de l’homme, les causes de la chute de la Guilde des [Kan].

Cela avait pourtant été une guilde avec une personnalité très forte et une identité dont l’esprit survivrait longtemps. Mais même les esprits peuvent s’éteindre. Seul l’amour était éternel. Et les diamants aussi… Mais qu’est ce qu’il lui prenait ? Le manque de sommeil le faisait divaguer. Il sortit de son sac une choppe de vielle bière des nains et la vida d’un coup, ce qui eut pour effet de lui remettre les idées en place, du moins provisoirement…

Les [Dna] étaient eux très différents. Appartenir à cette Guilde revenait à épouser sa philosophie et à y adapter son style. Certains s’y faisaient, d’autres pas. Dans tous les cas, les membres des [Dna] faisaient parti des meilleurs aventuriers qu’il avait pu croiser sur le plan individuel (ce n’est pas pour rien qu’il y avait autant d’envouteurs dans leur rang) mais il s’agissait pour la plus part de solitaire dont l’intégration dans un groupe n’était pas toujours évidente.

L’esprit des [Dna] s’incarnait en la personne de Dame Enigmael et il vivrait aussi longtemps que celle-ci aurait la force de respirer. Mais par les temps qui courent l’individualisme ne prévalait plus : seule la constitution d’un groupe très polyvalent, animé d’une volonté forte de réussir, pouvait permettre de réussir les défis les plus difficiles. Il repensa à ses visites à Urgoz ou à Kanaxai ou encore dans le domaine de l’angoisse. Peu à peu le nombre des membres des [Dna] diminua, réduisant d’autant les possibilités qui leur étaient offertes sur ces terres.

Trois autres Guildes rejoignirent l’alliance, chacun espérant trouver un second souffle avec du sang neuf. Mais l’effet fut l’inverse, apportant un peu plus de confusion, poussant les [RW] à se replier encore un peu plus sur eux-mêmes.

Il pensait souvent à aux [Kan] et aux [Dna] et prenait régulièrement de leurs nouvelles et ce qu’il y voyait l’attristait. Encore une fois la décision qu’il avait proposé à la Guilde de quitter l’alliance des [Kan] avaient eu des répercussions sur d’autres Guildes que la sienne. Aurait-il pu faire autrement ? Il avait essayé un peu avant la fin de l’alliance, convaincu qu’en soufflant assez fort sur certaines braises, un petit feu reprendrait. Il avait proposé des mesures assez radicales : créer une petite taverne indépendante où chacun pourrait s’assoir à égalité autour d’une table, se regrouper dans une alliance différente, voire de regrouper des guildes entre elles. Mais ses propositions n’avaient pas trouvé d’échos favorables.

D’un côté il y avait une guilde dont le nombre de membres était suffisant mais dont l’âme s’était éteinte et d’un autre il y avait une guilde à l’âme étincelante mais dont le nombre limitait ses actions. Le contenu et le contenant… L’un sans l’autre ne servait à rien. Il s’appliquait tous les jours a essayer de préserver l’un et l’autre au sein des [RW], sachant que si l’un des deux venaient à disparaître, tous ces efforts seraient réduits à néant en très peu de temps.

Préserver le nombre était sans doute la chose la plus facile. Et encore… La qualité sans la quantité ne suffisait même pas. Il lui fallait guetter sans cesse les profils qui pourraient correspondre. Mais cela l’amusait, c’était même sans doute l’un de ses plus grands plaisirs : une sorte de chasse permanente ou la compétition était féroce et sans mercis….

Mais l’âme ? Comment la préserver ? On touchait là du doigt des choses beaucoup plus profondes, voire personnelles… Tout d’abord il fallait écouter. Ça tombait bien, il avait des oreilles un peu partout, dans toutes les tavernes de Tyrie et d’ailleurs. Ensuite il fallait innover, sans cesse. La répétition était synonyme d’ennui et l’ennui était mortel…

Soudain son pied droit, alourdi par une botte pleine de neige et par l’effet de la bière de nain, se prit dans une racine cachée sous la neige et l’homme s’écroula de tout son long dans la poudreuse… La chute et le froid immédiat qui s’infiltra dans son armure brisèrent le fil de sa pensée.

Et merde se dit-il, je vais encore chopper une sale crève…